L’expropriation forcée des actionnaires de Crédit Suisse (CS) au profit d’UBS imposée par le Conseil fédéral, la BNS et la FINMA, et la fusion des deux entités en un super monopole bancaire privé constitue indiscutablement un événement historique dont les conséquences seront majeures, et qui soulèvent un certain nombre d’enjeux cruciaux. Le tout constitue un scandale démocratique, la preuve d’un système politique au service de l’oligarchie financière. Si le Conseil fédéral a agi comme il l’a fait, c’est que la situation était grave, mais sa « solution » ne fera qu’aggraver le problème sous-jacent. Pour le PST-POP les causes de la débâcle de CS sont structurelles : il s’agit d’une crise systémique du capitalisme, en cours d’aggravation. Les réponses donc elles-aussi être structurelles et radicales. Il est plus que jamais nécessaire de rompre avec un système qui est à bout et engendre des conséquences de plus en plus intolérables ; non pas de simplement tenter de le réformer ou de mieux le réguler, car il n’existe pas de bonnes solutions dans son cadre.

Un coup de force institutionnel 

Lors de sa conférence de presse du dimanche 19 mars – consacrée au rachat de CS par UBS –, le Conseil fédéral déclarait en toute sérénité qu’il avait déjà tout décidé le mercredi d’avant, en grand secret, que la FINMA et la BNS avaient agi sous ses ordres – au mépris de la fameuse « indépendance » de la BNS – et qu’ils avaient menti sur l’état de santé de CS pour ne pas provoquer de panique bancaire. Qui plus est, le Conseil fédéral a adopté une ordonnance visant à classifier tous les documents liés à cette affaire, alors que la pratique usuelle est d’en divulguer au moins une partie, ou une version caviardée selon le cas. Une telle négation de la transparence est inacceptable dans une démocratie, et tend à faire penser que le Conseil fédéral a des choses à cacher. 

Le Conseil fédéral a utilisé des pouvoirs discrétionnaires, selon une procédure secrète, et a contourné la législation ordinaire, sur la base du droit de nécessité. Donc, la Suisse a vécu sous une forme d’état d’urgence pendant plusieurs jours, sans que le peuple n’en soit même informé. Or, malgré la séparation des pouvoirs, celui qui peut proclamer l’état d’urgence détient en réalité la plénitude du pouvoir. Théoriquement, ça devrait être l’Assemblée fédérale en Suisse, mais il semble qu’en pratique ce soit Conseil fédéral. Ce qui est des plus inquiétants. Que le Conseil fédéral ait agi sous la pression des USA est d’autant plus grave, et constitue une menace directe pour la démocratie et l’indépendance de la Suisse.

Le coup de force du Conseil fédéral aura certainement des conséquences institutionnelles durables. En ces temps de crise, la Suisse glisse visiblement vers un capitalisme monopoliste d’État régi par une gouvernance autoritaire, qui plus est selon une procédure secrète. Plus la crise empirera, plus le Conseil fédéral sera amené à agir de cette façon. Or, il n’y a rien de bon à attendre de ce tournant car il n’existe aucune raison de lui faire confiance pour utiliser ses pouvoirs discrétionnaires au service du bien commun. Le fait est qu’actuellement il les utilise au service de l’oligarchie financière exclusivement, pas de l’intérêt général du pays, encore moins de celui de ses travailleuses et travailleurs.

Le PST-POP attend du parlement que non seulement il enquête sur les circonstances de la débâcle de CS et de la façon dont le Conseil fédéral, la BNS et la FINMA ont géré l’affaire, mais aussi qu’il prenne des mesures visant à limiter les pouvoirs discrétionnaires du Conseil fédéral et à mieux en encadrer l’usage, d’imposer un contrôle démocratique strict sur ses agissements. 

Du rôle de la BNS

Cette affaire met en lumière également le rôle véritable de la BNS. Celle-ci a en effet accumulé des réserves colossales, que les pertes spectaculaires qu’elle enregistre depuis la fin des taux négatifs n’a que peu entamées. Elle a choisi de vider le fond à partir duquel elle reversait une partie de son bénéfice aux cantons et aux communes, alors qu’elle aurait été financièrement en mesure de poursuivre ces versements. Elle n’a pas touché d’autres fonds à vocation « conjoncturels », et spécifiquement prévus pour des cas comme celui du sauvetage de CS. Or, elle a accumulé ces réserves par des investissements de nature hautement contestable pour certains d’entre eux (énergies fossiles, entreprises d’armement, notamment). 

Ces décisions d’investissement et d’utilisation de fonds sont prises de façon discrétionnaire, hors de tout contrôle démocratique, comme le veut la sacro-sainte « indépendance » de la BNS. Or, les priorités de la BNS, comme mettre sur la table une somme aussi colossale que 150 milliards, et sans aucune condition, pour aider une banque privée entièrement fautive de ses désagréments boursiers, montrent éloquemment la véritable nature de classe de cette fameuse « indépendance » : un pouvoir au service de l’oligarchie financière, et soustrait à la volonté du peuple. 

Le PST-POP estime que la prétendue « indépendance » de la BNS, qui n’est que le masque de sa dépendance réelle à l’oligarchie financière, doit prendre fin. La BNS doit devenir une banque nationale entièrement publique, soumise à un contrôle démocratique, et dont la politique monétaire soit conduite au service du peuple et de l’intérêt général du pays, en vertu d’objectifs démocratiquement décidés.

Question de priorités politiques

La BNS a facilement mis sur la table 150 milliards de francs sous forme de prêts pour cette transaction, soit presque le double du budget annuel de la Confédération – et plus du décuple du montant qu’elle a décidé de ne plus reverser aux cantons et aux communes. De son côté, UBS rachète CS pour 3 milliards seulement, un montant dérisoire pour une transaction pareille (ou alors c’est que CS était dans un tel état que cette banque ne valait presque plus rien). En sus, la Confédération accorde une garantie de 9 milliards de francs à UBS (qui payerait quand même les 5 premiers milliards en cas de perte sur la transaction), soit plus de 10% de son budget annuel ; et une garantie de 100 milliards de francs d’argent public à la BNS en cas de non-remboursement des crédits faits aux deux banques sur le point de fusionner. Cette décision a été prise quelques jours à peine après l’adoption de LPP21, qui annonce un nouveau démantèlement des retraites. Alors que l’argent semble toujours manquer à la Confédération quand il s’agit de sauvegarder des acquis sociaux, il coule à flots quand l’oligarchie financière en demande quelques jours plus tard à peine.

Le Conseil fédéral prétend qu’il ne s’agit que de garanties et non de dépenses, et que ces montants ne grèvent pas le budget de la Confédération. Tout se passera normalement très bien et le peuple n’aura donc rien à payer. Mais sa parole ne doit inspirer aucune confiance. Rien ne dit que cette fusion va bien se passer, ni ne pas engendrer des pertes énormes. Le triste état dans lequel se trouvait CS, la complexité du processus de fusion qui obligera UBS à liquider toutes les activités toxiques rachetées à CS, la crise financière qui commence, incitent à penser le contraire. Lorsque, en 2008, la BNS avait sauvé UBS, elle a fini par récupérer son dû, et même faire un bénéfice. Certes. Mais c’est uniquement parce que la Réserve fédérale des USA avait racheté ce fond. La BNS pourrait bien faire une perte colossale cette fois, qui devrait être épongée par la Confédération, et qui serait payée en dernière instance par le peuple. En revanche, si la transaction est un succès, tous les bénéfices iront aux actionnaires d’UBS, et à eux seuls. Privatisation des bénéfices et socialisation des pertes. Quelque chose qui ne doit plus continuer.

Quand nous disons que c’est le peuple qui va payer pour cette aide étatique à deux banques privées qui n’en formeront bientôt plus qu’une, ce n’est pas une hypothèse, ni même une prédiction. Car le Conseil fédéral travaille déjà sur un plan d’austérité, annoncé dans la presse quelques jours à peine après la transaction. Soit des mesures d’économie sur la contribution de la Confédération à l’assurance chômage (alors que la fusion des deux banques et les multiples suppressions de postes qui vont en découler engendra une hausse du chômage), sur le développement du transport ferroviaire (alors qu’à l’heure de l’urgence climatique celui-ci n’a jamais été aussi nécessaire !) et dans l’AVS (une idée aussi mesquine que révoltante de couper dans les rentes de veuves !). Toutes ces mesures devraient permettre d’économiser quelques 600 millions de francs par année. Le Conseil fédéral prétend bien sûr que ces mesures n’ont bien sûr rien à voir avec l’affaire CS. Mais on sait déjà ce que vaut sa parole.

Quant aux travailleuses et travailleurs qui vont être licenciés, le Conseil fédéral n’a tout à coup plus de pouvoirs discrétionnaires, et ne s’en préoccupe d’aucune manière, laissant la nouvelle UBS agir à sa guise. Leur sort n’est pour lui pas une priorité. 

Ces priorités politiques sont celles d’un gouvernement capitaliste, qui gouverne au service de la bourgeoisie, et au détriment du peuple. Le PST-POP se bat pour faire l’exact contraire.

Un super monopole bancaire privé

Certes, le Conseil fédéral, la BNS et la FINMA pouvaient difficilement laisser faire le marché libre, et laisser donc Crédit Suisse faire faillite, sans autre forme de procès. Il est vrai que, même en laissant CS couler, il eût été possible de garantir les dépôts des épargnants, jusqu’à une certaine limite. C’est ce qu’avait fait l’Islande, au plus fort de la crise financière de 2008, en refusant d’appliquer un plan d’austérité exigé par l’UE, en laissant les banques faire faillites, tout en garantissant les dépôts jusqu’à un certain plafond, et en mettant des banquiers en prison. Ces mesures avaient assaini l’économie islandaise parasitée jusque-là par un secteur financier hypertrophié et spéculatif. La garantie des dépôts auraient également pu être illimitée, comme l’ont fait aujourd’hui les USA, en laissant couler la Silicon Valley Bank, tout en garantissant l’entier des dépôts afin d’éviter la contagion bancaire. 

Cela dit, le Conseil fédéral aurait eu en tout cas trois autres options pour éviter une faillite de CS. Il aurait pu nationaliser cette banque, option qui aurait été envisagée, et qui, à coup sûr eût été préférable. Il aurait pu scinder CS en plusieurs entités, et en liquider les plus toxiques (une tâche ingrate dont UBS devra se charger désormais), ou la vendre à une banque étrangère (ce qui aurait été très problématique).

Au lieu de cela, il a choisi de créer un super monopole bancaire privé. La nouvelle UBS dominera en effet de façon écrasante le secteur de la finance en Suisse, et son bilan représentera deux fois le PIB du pays. La question se pose de savoir comment il sera désormais possible de sauver la nouvelle UBS quand cette dernière se trouvera elle-même dans la tourmente. Il semblerait que même la BNS ne serait pas en mesure de sauver un tel mastodonte. Par sa « solution » le Conseil fédéral n’a fait qu’aggraver le problème à terme.

Début d’une crise financière ?

Cette fusion ne résoudra rien. Tous les participants et participantes à la conférence de presse du Conseil fédéral du dimanche 19 mars disaient la main sur le cœur qu’UBS est financièrement solide et fiable, que tout allait bien et qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter… Le même discours que pour CS il y a une poignée de jours auparavant à peine. Or, on sait maintenant ce qu’il en est, et il est possible de soupçonner qu’ils aient menti de façon éhontée.

Ces paroles ne méritent aucune confiance. Cette dernière a par ailleurs aussi manqué aux marchés financiers au lendemain de la fusion, qui se sont effondrés d’abord, pour remonter ensuite, tout en continuant à fluctuer de façon préoccupante. Et la situation de certaines autres banques est dangereusement fragile.

Sans vouloir spéculer à notre tour sur quand et comment une crise financière va se déclencher, nous estimons que celle-ci existe en puissance depuis un moment déjà et que sa réalisation en acte ne pourra plus être évitée longtemps. Car cette crise est de nature structurelle : il s’agit d’une crise de suraccumulation du capital, plus particulièrement d’un capital financier hypertrophié et parasitaire. Si les profits de la finance peuvent sembler purement spéculatifs, de l’argent produit avec de l’argent, en dernière instance ils sont prélevés sur l’économie réelle, sur la plus-value produite par les travailleuses et travailleurs. Or ce tribut devient étouffant, et l’accumulation du capital dans l’économie réelle est de plus en plus entravée par sa crise structurelle. Ce cycle a été maintenu artificiellement à flot par les taux négatifs, lorsque l’argent était gratuit et que même des activités déficitaires pouvaient être financées. Mais, depuis que les banques centrales ont remonté leurs taux directeurs, afin de lutter contre l’inflation, les banques se retrouvent en difficulté pour payer les intérêts.

Cette crise est potentiellement plus grave que celle de 2008, et dans tous les cas plus complexe. A l’époque, il s’agissait clairement d’une crise financière (même si ses causes étaient structurelles), qui pouvait être traitée comme telle. Là, nous aurions une crise financière qui se surajouterait à plusieurs crises préexistantes : inflation, renchérissement des matières premières, pénuries, rupture de chaînes d’approvisionnement, guerres, tensions géopolitiques, fragmentation du marché mondial en zones économiques et monétaires qui tendent à devenir de plus en plus cloisonnées… Dans cet enchevêtrement de crises, il n’existe pas de bonne solution dans le cadre du système : chaque solution apportée à un problème en aggraverait un autre. Par exemple, remonter les taux directeurs peut causer la crise financière, mais les abaisser relancerait l’inflation… Dans cette situation, les vielles puissances impérialistes sont désavantagées pour avoir massivement délocalisé leur secteur productif, et laissé atteindre une véritable hypertrophie du capital financier, exportant surtout des capitaux et étant devenus extrêmement dépendants pour l’importation de biens qu’elles ne produisent plus. Il est vain de vouloir essayer de sauver un système structurellement en faillite à terme, et qui cause des dégâts sociaux, économiques et environnementaux intolérables. Il est urgent d’en changer.

Les causes de la débâcle sont structurelles, les solutions doivent l’être également

La débâcle de CS a provoqué une consternation générale, et à peu près personne n’a été satisfait de la façon dont le Conseil fédéral a agi. Tous les partis politiques l’ont critiqué. Le problème est que ces critiques restent superficielles, quand elles ne tiennent pas de la pure démagogie.

Certaines réactions tiennent du pur spectacle : l’UDC dénonce le « copinage PLR », le PLR leur retourne la politesse en accusant Ueli Maurer… Les commentateurs ont beaucoup pointé la responsabilité individuelle des dirigeants successifs de CS. Certes, les mauvaises pratiques à la tête de CS peuvent expliquer pourquoi cette banque-là s’est retrouvée au bord de la faillite, et pas une autre. Mais cette explication est insuffisante. Les causes de la débâcle ne sont pas contingentes, ni seulement liées aux fautes commises par quelques personnes.

Les mesures proposées sont tout autant insuffisantes, et ne s’attaquent pas aux causes structurelles de la crise. Les partis gouvernementaux se limitent dans le meilleur des cas à demander plus de régulation, plus de pouvoir à la FINMA… sans remettre en cause le système en tant que tel. « Plus de régulation » : on nous avait déjà fait le coup lors de la crise de 2008. Beaucoup de promesses faites alors – Nicolas Sarkozy disait vouloir « moraliser le capitalisme » – étaient parfaitement hypocrites. Mais certaines mesures furent néanmoins mises en place. Des exigences renforcées en matière de fonds propres et des réglementations bancaires plus strictes furent effectivement implémentées. En Suisse également. Elles n’ont servi à rien pour empêcher ce qui arrive aujourd’hui. On aurait pu mettre des mesures de régulation plus fortes par le passé, on pourrait les renforcer maintenant. Ce serait certes positifs, mais n’apporterait pas en soi une solution.

Car, ce n’est pas parce que le système financier est insuffisamment régulé qu’il produit les résultats qu’il produit, mais parce qu’il est le système qu’il est.

Alors, pour résoudre les problèmes posés par la débâcle de CS et la création du nouveau super monopole bancaire, des demi-mesures et des bricolages réformistes ne sauraient suffire. 

En 2008, la crise financière était partie de l’endettement privé extrême du à des prêts hypothécaires spéculatifs aux USA et à une finance dérégulée et hors de contrôle. Après la faillite de Lehman Brothers, les États capitalistes développés ont mobilisés des montants proprement hallucinants de fonds publics pour renflouer les banques en difficulté et arrêter la contagion. Ce renflouement s’est fait sans aucune condition, un pur cadeau. Aucun des banquiers impliqués dans la crise – dont les pratiques ont pu pourtant être illégales – n’eut aucun compte à rendre. Les réformes promises pour faire passer ce sauvetage devant l’opinion publique se sont révélées dérisoires, et n’ont presque rien changées, laissant les causes à l’origine de la crise intouchées, et vouant celle-ci à se répéter. En revanche, les États, lourdement endettés, ont fait payer à leurs peuples par des politiques d’austérité brutales le sauvetage des banques privées.

Et, quinze ans plus tard seulement, nous voyons les prémisses d’une nouvelle crise financière. Alors, refaire comme il y a quinze ans, sauver de nouveau les banques avec de l’argent public pour qu’elles continuent exactement comme avant, et devoir payer pour les conséquences de ce sauvetage, pour nous c’est non ! Ces crises sont un mal qui découle de la nature même du système capitaliste. Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin d’autre chose. Nous n’avons pas besoin d’une finance hors de contrôle, qui n’enrichit qu’une minorité, et, par ses investissements à courte vue, engendre 22 fois plus d’émissions de CO2 que la totalité de la population suisse. Nous avons besoin de changements de fond. 

Le PST-POP considère que le secteur de la finance doit être nationalisé, et mis au service du bien commun. Pas pour fonctionner comme aujourd’hui, dans une forme de capitalisme d’État, avec redistribution des dividendes au peuple, mais pour réaliser des changements structurels. L’économie de notre pays est actuellement prise en otage par un secteur financier hypertrophié, parasitaire et spéculatif. Ce secteur doit être dégonflé, les activités purement spéculatives supprimées, et une finance à caractère publique mise au service d’une économie restructurée dans l’intérêt du bien commun, par la relocalisation d’activités productives et écologiquement soutenables, par le développement d’emplois socialement utiles. Il n’est que grand temps de sortir enfin du capitalisme, de construire une nouvelle société socialiste, avant que le capitalisme ne finisse par rendre la planète inhabitable dans un avenir plus proche qu’on ne le croit.